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Photo du rédacteurYann `Prevost

Pendant ce temps… Robert Badinter nous quittait #3


Pourquoi sommes nous si tristes ? Finalement, il n’était pas plus éternel que nous autres. Il avait d’ailleurs atteint un âge où la vie peut décemment se retirer pour offrir le repos à un homme au destin si exceptionnel.


Apprenant sa disparition, nous aurions pu simplement célébrer ce qu’il fut, et nous limiter à une commémoration de ses actes les plus marquants alors qu’il était avocat, garde des sceaux, sénateur ou Président du conseil constitutionnel.


Mais c’est une peine sincère qui nous a envahi. Nos yeux se sont remplis de larmes ce 9 février, ces mêmes yeux que nous avions toujours eu grand ouvert pour mieux absorber toute la lumière qui jaillissait de la sagesse de ses paroles comme de ses écrits lorsqu’il nous exhortait à être toujours plus grand que nos passions et de faire prévaloir, sans aucune exception, l’égalité entre tous sur toute autre considération.


Si nous sommes si tristes, c’est que nous avions à l’évidence toujours dans un coin de notre esprit la représentation de celui parmi nous qui était parvenu à faire de sa robe d’avocat, une voile dans laquelle s’était engouffrée le souffle de toutes les libertés.


Sa disparition nous fait ressentir avec brutalité toute la place qu’il occupait dans notre inconscient d’avocat ; combien sommes nous à avoir choisi de revêtir la robe après avoir découvert la puissance intellectuelle et le courage de Robert Badinter au travers de ses combats pour que la justice ne soit jamais plus capable de tuer ?


Il fut véritablement un maître pour plusieurs générations d’avocat.


Qui n’a pas connu la solitude d’une défense contre une autorité qui n’entend pas revenir sur sa position, ne comprendra pas exactement la raison pour laquelle la figure de Robert BADINTER a pu agir comme un phare dans nos moments les plus difficiles. Nous avons pris sa rigueur morale, son acuité intellectuelle, son courage et sa résistance à toutes les attaques subies chaque fois qu’il se dressait seul face à l’opinion publique qui réclamait que le sang coule, comme la démonstration de ce que signifie agir en avocat.


Nous retenons, comme beaucoup, les extraits connus de ses plaidoiries en défense d’un Bontemps, ou d’un Patrick Henry pour soutenir, avec colère, que jamais l’atrocité d’un crime ne peut autoriser la Justice à devenir meurtrière à son tour. Nous resterons éternellement ému par la puissance de sa voix chargée de colère et de peine au moment de s’exprimer à la commémoration de la rafle du Vel d’hiv le 16 juillet 1992 pour faire taire les sifflets et faire entendre la voix silencieuse des victimes disparues, ou en puisant dans la douleur de l’orphelin qui avait vu son père arrêté à Lyon par la gestapo, pour se défendre de l’accusation de diffamation portée contre lui par le négationniste Robert Faurisson qu’il avait désigné comme un “fossoyeur de l’histoire”, et dont il sera relaxé.





En puisant parmi ses combats personnels, il est apparu possible de défendre des causes qui nous sont supérieures ; le prétoire devient alors tribune au nom de la dignité des justiciables et dans l'intérêt de la Justice.


Nous tenons de son exemple la conviction que nous avons pour première tâche de prévenir les Juges lorsque leur décision ou leur sentence perdent leur sens si elles ne restent pas mesurées et proportionnées, ou si elles épousent trop l’opinion publique en oubliant les principes supérieurs qui ont construit notre civilisation.


Notre peine est profonde, mais elle ravive notre foi en un exercice professionnel conscient de la responsabilité qui pèse sur nos épaules, sur laquelle demeurera toujours l'ombre de la main encourageante de Robert BADINTER.


Robert BADINTER a montré la voie de l’engagement à des milliers d’entre nous, au point de pouvoir dire que nos robes sont depuis un peu tissées à partir du fil de sa pensée et de ses combats.


Désormais, nos robes seront un peu plus noires ; en cela, Robert BADINTER restera éternel.


Yann PREVOST


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